Deutz Sentimental

Pour commencer, peut-être allez-vous trouver ma chronique désuète, voire un brin farfelue. Ce ne sera pas la première fois. Tout d’abord, je vous dois une explication. Avril est pour moi l’occasion de célébrer tous les béliers qui me côtoient : en premier lieu, une de mes fils, Victor, ma maman, Françoise, qui n’est plus de ce monde mais qui me reste proche, quelques autres encore dont ma pomme. Cela me donne plus d’une excuse pour faire sauter le bouchon. Ce qui fut fait l’autre jour, encouragé je dois le dire par l’envoûtant touché pianistique de Tommy Flanagan sur La Jazz, une des formidables radios thématiques (je vous recommande aussi La Baroque) que nous offre notre redevance sur le site de France Musique. Et voilà que je me laisse vite emporter par le constat que l’on a tous en nous un champagne de cœur, un champagne de prédilection. Dans une cuvée spéciale ou non, à jeun ou au bord de la sieste digestive, en état normal ou en plein spleen, dans sa baignoire ou devant son clavier comme moi ce soir, peu importe, car ce champagne qui nous est cher devient l’espace d’un instant dans mon imaginaire un vrai sentimental champagne au même titre que ces Trois petites notes de musique valsées bien mieux que Montand par Juliette Gréco https://www.youtube.  (sur une musique de Georges Delerue), qu’un poème de Beaudelaire si joliment récité par Serge Reggiani ou qu’un déjeuner toscan bien arrosé à L’Osteria Le Logge, le calme gourmet à deux pas de l’animation du Campo de Siena. C’est ainsi que parfois chez moi le sentimental s’embrouille parfois pour se confondre immanquablement avec la nostalgie que peut engendrer une cité, un paysage, un visage, une oeuvre d’art, un jardin, un plat, que sais-je encore.

Passons sur le champagne familial, celui des premières communions, des baptêmes et du baccalauréat. Le mien, enfin celui que chérissait Françoise, le champagne de ma chère maman ne m’a pas marqué professionnellement parlant, du moins, mais son arrivée plutôt tonitruante – une douzaine de cartons grimpés jusqu’au quatrième étage sans ascenseur dans les années gaulliennes – était synonyme de victoire. Au point qu’il m’est resté gravé (c’était du Henri Geoffroy à Vertus, si ma mémoire ne me trahit pas) dans un coin de mon cerveau. Je me souviens que, bien qu’en culottes courtes, je me jetais en cachette sur son rosé, précurseur de la mode pour cette couleur. Mais quittons cette époque pour en revenir à un âge bien plus adulte.

Curiosité journalistique aidant, une fois le goût bien avancé, reconnaissons-le, on a tous un champagne de prédilection, un champagne avec un “C” majuscule, une marque, une maison, un récoltant-manipulant pour ne pas dire vigneron, un style, une époque, un genre, une référence, un champagne-perso, celui sur lequel on se damnerait lorsque l’on désespère de la vie ou, au contraire, celui que l’on bénirait si l’on se sent comblé par elle. Chez moi, en bon septentenaire, il y a plus d’une maison, plus d’une référence au sein de la grande famille Champagne : Drappier, Bollinger, Veuve Clicquot, Charles Heidsieck… Le champagne étant devenu cher, seuls quelques-uns reposent en ma cave sachant que, par principe, je ne les boirai, quelque soit leur type, qu’une fois passé trois à cinq années de repos après leur mise en bouteilles. 

©MichelSmith

Revenons au sentiment, au sentimental. S’il fallait en citer un qui me ravit par dessus tout pour sa régularité, son style toujours là, fidèle entre tous les fidèles, c’est bien le Brut Classic de Deutz lequel mérite pleinement son image de classicisme que l’on associe facilement à la danse, la peinture ou la musique. Cet attachement serait-il dû à la courtoisie, à la gentillesse si particulière, au nom si « vieille France » et à la force de persuasion de l’ancien responsable de la communication de la maison Deutz, le dénommé Arnaud Bro de Comères ? Pour ma part, cela ne fait aucun doute. Arnaud, c’est bien à toi que je pense en écrivant ces lignes. Il ne fait aucun doute pour moi que c’est dans les caves et les salons de la vénérable maison Deutz à Aÿ, dûment chaperonné par toi que j’ai appris ce que je sais aujourd’hui du vin de la Champagne, la science subtile des assemblages, le rôle important du chef de cave, le vieillissement, la finition d’une cuvée… C’est en y allant régulièrement, en goûtant avec le plus d’attention et de sérieux que de possible que j’ai découvert la noblesse du vin rehaussé de ses bulles, celle de la cuvée William Deutz en particulier, en plus de l’importance capitale attachée à la régularité d’une cuvée dite « de base » pour ne pas dire « brut sans année ».

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Aujourd’hui donc, je viens d’ouvrir une bouteille de mon champagne « marqueur », celui que j’appelle mon champagne. Ce Brut Classic de Deutz me transporte à nouveau dans un voyage champenois aussi lumineux que nostalgique, une transportation émaillée de parfums de cuisine, celle de Gérard Boyer à Reims surtout, de vignes en fleurs entre Verzenay et Bouzy, de caves-cathédrales fraîches et profondes, des pauses cigares au fond d’un parc un verre aux accents de pinot noir à portée de main. Je revois ces gens passionnés qui vous content leur métier force bouteilles à l’appui. A petites doses, le vin se remémore en moi. Il revit, il me revient, les senteurs s’amplifiant dans le verre. Comme en ce jour d’avril où les bulles sautillent, si fines et délicates. La bouche est d’une précision et d’une intensité rassurantes :  fraîcheur persistante en appui, structure bien affirmée, acidité juste, fruits blancs mûrs tout en vinosité, de petits fruits des bois aussi qui traduisent avec justesse la dominante pinot noir dans l’assemblage avec le chardonnay, plus que bonne tenue en bouche, voilà que Deutz me confirme à nouveau son style épuré, son classicisme. Voilà que ce champagne de base pour ne pas dire « brut-sans-année » (bsa pour les pros) assure avec brio sa mission de direction d’orchestre. Elle le fait tant et si bien qu’en dehors d’être un simple champagne d’ouverture, un bon blanc de mise en bouche si vous préférez, il se pose en parfait vin de repas, un compagnon digne et sérieux de ma printanière pintade en pot au feu. Bref, le Brut Classic de Deutz m’a fait une fois de plus le coup du Sentimental Champagne me laissant dans les vapes, In a Sentimental Mood en quelque sorte, sur l’air du Duke (Ellington, bien sûr) en compagnie de John Coltrane, titre devenu un des grands classiques du jazz et maintenant du Champagne.

Michel Smith

PS Au passage, je dois un grand merci à Fabrice Rosset, PDG de la Maison Deutz, de m’avoir adressé cet échantillon (et d’autres, bien avant…). On trouvera le Brut Classic chez beaucoup de bons cavistes. Par exemple Chez Nicolas, à 79,90 euros le magnum, sachant qu’en grand flacon le champagne est encore plus excitant !

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