Il me semble que je ne parle pas assez des vins simples, ceux que je bois, ceux que l’on boit au jour le jour, ceux qui procurent joie et bonheur sans qu’il soit besoin d’une grande analyse technique encore moins intellectuelle. Car, bien au-delà des vins d’esthètes, des crus « starifiés » et des bouteilles de compètes, médailles à la clef, on retombe toujours sur la nécessité d’avoir à portée de main un vin « simple », un vin peu savant, mais complice qui vous remonte le moral tout en remettant les pendules à l’heure.
Zemmour peut pérorer à l’infini, Ménard peut jacter dans son coin par tweets interposés, Le Pen paniquer à la vue des sondages et Mélenchon déblatérer sur les télés, je me contrefiche du climat actuel puisque la comédie du pouvoir se jouera dans à peine six mois et que d’ici là, je vais avoir le temps de rafraîchir mon gosier de ces vins simples et joyeux (mais surtout pas simplets); des vins bien plus importants pour mon état moral et ma santé en général, des vins qui, en ces premiers jours de feuilles mortes, me sortent de cette crise et de l’odieuse course au pouvoir qu’elle engendre avec son lot de candidats de pacotille par trop pressés de s’exhiber dans les médias serviles qui se coursent sur fond d’audience et de sondages.

En attendant une hypothétique révolte populaire, ce qui compte le plus dans cet instant « T » que nous vivons c’est de veiller encore plus que d’habitude à toujours avoir à portée de main l’immédiateté du plaisir, cette quotidienne ration d’âme souriante, cette tasse de thé minimum onze degrés cinq, ce vin simple servi frais à l’heure du déjeuner dans un verre tulipe idoine, mon bon jaja, mon vin du jour pas compliqué pour deux sous, un jus à siroter sans prise de tête le plus loin possible des chaînes d’infos qui pourraient brouiller mon esprit. Alors, chaque chose en son temps : marre du clivage politico-médiatique, ras le bol des dégustations élitistes, il me faut du concret, du simple, mais pas n’importe quoi, quelque chose de sérieux et de bon et, depuis que je goûte ma retraite et que ma Carte de Presse n’est plus qu’honoraire, la chose est entendue : je cherche avant tout à réduire les tracas de la vie tout en augmentant ma dose de plaisir. Pas si mal comme programme pour le dernier quart de vie qu’il m’est donné de jouir.
Je sais, j’allais le dire, le simple peut-être parfois compliqué en même temps que pas très bon. Faute de goût affiné ou de saine curiosité, il peut aussi être l’ennemi du bien, du bon en l’occurrence. Face à un choix de plus en plus pléthorique, confronté à des tarifs parfois surdimensionnés et à une confusion navrante dans les étiquettes, je suis le premier des consommateurs à me laisser avoir par des achats décevants qui sont loin de me satisfaire, loin d’étancher ma soif. Fort heureusement, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, ce qui est compliqué dans la vie peut aussi déboucher (c’est le cas de le dire!) sur des découvertes passionnantes tout en gardant à l’esprit la notion de plaisir immédiat avec un flacon honnête et pas trop cher. Et comme disait l’autre : là où il y a plaisir, il n’y a pas de mal à se faire du bien…
Bon, je sens que je m’égare et que je risque de perdre votre attention. Je l’ai déjà affirmé ici, au moins une fois par le passé, et j’y reviens aujourd’hui, le simple vin peut et doit-être synonyme de bon. Rien à voir je vous rassure avec ces cuvées branchées dites « de bonne buvabilité” dont je me méfie au plus haut point, encore moins avec cette mode pour un vin « glouglou” si chère aux réseaux sociaux que je fréquente, des vins qui, depuis les années 2000, succèdent au « litron”, au « gros rouge”, au vin « quotidien”, au vin de “labeur”, au vin « de table » …
C’est vrai que je ne suis pas sorti de l’ENA, mais lorsque je dis “simple”, c’est plutôt le terme “joyeux” qui éclaire mon esprit sombre et quelque peu délabré. L’un ne va pas sans l’autre. Simple et joyeux donc, comme cet air alerte de Duke’s Place, tube aussi swing que rock emporté par le Duke himself au piano, chef d’orchestre d’un collector de 1961 “sur disques Roulette”, comme Frank Ténot aurait pu le dire à l’époque sur les ondes d’Europe Numéro Un. Puisque j’y suis, pour info, Barney Bigard (clarinette), Louis Armstrong (chant et trompette), Trummy Young (trombone), Mort Herbert (contrebasse), Danny Barcelona (batterie), formidable illustration de ce qu’une musique aussi simple, juste, alerte, dansante et joviale peut inspirer de sensations à un amateur de vin. Et pendant ce temps, la vendange en cuve glisse dans le pressoir.

Carignan 2021, Récupération des raisins de Puch macérés dans leur jus. ©FrançoisDouville
A ce stade, je vais tenter de vous narrer mon dernier achat chez mon caviste du “Nez dans le verre”, à Pézenas (34). Cet achat, réalisé par pure curiosité, démontre au passage que le conseil avisé d’un bon caviste peut parfois vous combler de joie ! Lors d’une visite cet été, plutôt que d’acheter la Buvette d’Embres et Catelmaure à 4,90 € ou le charpenté et bio Malbec du Domaine des Soulié (Bonjour Rémy !) à 5,90 €, ou encore le délicieux Rouge de l’Azerole du Château Mirausse (salut Raymond !) à 7 €, tous des vins de bons soldats, des vins de qualité, buvables au jour le jour, je me suis offert le Vin de France certifié bio vendu en flacon d’un litre, le bien nommé “Pur Jus” de Benoît Braujou, vigneron de Saint-Jean-de-Fos, le village des potiers bien au nord de Béziers et de Montpellier. Au départ, je ne comptais pas dépasser mon chiffre aussi fétiche que fatidique de 10 € pour une bouteille. Celui-ci m’a coûté 13,90 €, montant que j’ai jugé un peu élevé quand bien même il s’agit d’un litre de pur mourvèdre (mon cépage chéri avec le carignan, le cinsault et le grenache noir, bien sûr) dont vous trouverez la fiche technique ici établie par le caviste et ami, Bruno Stirnemann sur le site du magasin.

Tout simple, tout frais, tout bon ! ©MichelSmith
Maintenant que je l’ai payé, il me faut le goûter ! Tout de suite, j’ai un nez superbe qui s’offre à moi. Presque insolent, il évoque le raisin pressé frais avec cette pointe d’accent sudiste si proche de la garrigue dans une atmosphère paisible mouillée par la rosée d’un matin d’automne après la pluie où l’on se dit qu’il y aura, peut-être, quelques cèpes à dénicher dans les bois. Manquerait plus que les petits oiseaux !
Un nez aussi franc que le caractère de son auteur qui, après avoir voyagé et côtoyé des vignerons que j’admire, à l’instar d’Yves Cuilleron, est revenu sur les terres de son enfance en s’inspirant de son père dans la manière de concevoir le travail de la vigne. Depuis, le gars a redonné ses lettres de noblesses à des parcelles où poussent de frustres individus connus sous les noms d’aramon, d’œillades ou de carignan, vous savez, ceux dont on réclamait l’arrachage dans les années 60 à 90 et dont on conseille maintenant la réintroduction. C’est fou, n’est-ce pas, lorsque l’on a la prétention de connaître un peu un territoire, d’avoir immédiatement, rien qu’au simple contact olfactif d’un vin, cette image nette d’un paysage, d’un environnement qui s’imprime dans l’esprit. Ici, c’est bien le cas : je me retrouve en pays fraternel sur les terrasses d’Aniane, entre oliviers, les amandiers et autres bouquets de thym, avec vue grandiose sur les contreforts des Cévennes, du Larzac plus précisément. Je n’ai qu’une hâte, celle d’avoir ce décor en bouche!

Violets de Perpignan ©MichelSmith
La surprise est totale : le vin s’étale en douceur tel un grand tapis de laine précieuse que l’on déroulerait au sein d’une pièce. Il est doux, tendre, délicat, accueillant et chaleureux comme une caresse, quelque chose d’inspirant, à la limite érotique, une présence charnelle, une allure légère et souple – l’étiquette affiche 12° – sur fond réjouissant de fruits rouges et noirs qui hésitent entre la fraise et la framboise, mais qui persistent joliment en s’installant avec précision, sans effusion aucune, ne laissant percevoir en guise de finale tout au fond du palais que le grésillement poivré et légèrement amer de la peau et des pépins, ces inimitables et succulents tannins du mourvèdre, de ceux que l’on devine dès les premiers frimas de la fermentation.
Voilà donc un vin simple, prenant, gentiment astringent, mais d’une façon tellement mesurée qu’il ne peut qu’inspirer les amateurs de vins « simples » surtout si, comme moi, on s’impose de le boire frais. Pour vous le prouver, je l’ai photographié rangé dans la porte du frigo (voir plus haut) alors qu’il attendait patiemment que je sorte de ma période fino. Vous comprendrez enfin, je n’en doute pas, mon émoi devant un tel vin complice qui sait si bien délier les fils de la pensée et qui n’attend plus que mes épais travers de porc cuits à basse température, confits et bien cuivrés, hachis d’ail et gingembre en compagnie des artichauts violets du Roussillon pour s’exprimer à table.
Benoît Braujou se dit “irréductible” et on peut dire que ce qualificatif lui va comme un gant dans le sens où il vinifie selon son humeur (on dirait feeling en anglais), bien en dehors des appellations. Il est l’exemple même de cette extraordinaire diversité, de ces caractères forts qui peuplent et animent les terres du Languedoc et du Roussillon. Ici, le mourvèdre 2020 (sur l’étiquette on peut lire : « Lot 20 20 ») est éraflé, vinifié en levures indigènes avec cuvaison de l’ordre de trois semaines en cuves béton, chapeau de marc immergé pour un élevage de six mois et une mise en bouteilles (6.000 exemplaires) sans filtration. Simplissime la simplicité, vous dis-je !
Michel Smith
PS Quelques autres “simples” goûtés avec plaisir ces temps-ci…



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